Article dans la revue REFLETS été 2022

Passagère de l’ouvert…

Sortir de la mort, c’est faire le voyage pour la grande Vie, là où il n’y a pas de commencement ni de fin et cela retourne toute la perspective!
Dans une période mortifère, tournée vers l’obscur, fascinée par l’immortalité, confinée derrière les écrans qui font écran, idolâtrant l’empire glacé de l’argent, l’irréel se propage au galop de la peur. Je bride ma cavale, je rends ma casaque d’avatar numérique, je préfère
m’éveiller plutôt que de me dénaturer en poursuivant ce mauvais rêve.
Perdre au jeu de ce monde-là, c’est ne pas me perdre.
Le parfum des jours s’enfuit de la mémoire morte et les anges qui emplissaient les alvéoles de nos cœurs disparaissent dans notre indifférence. L’amnésie fait de nous des créatures cruelles. Le troupeau enchaîné à sa nature temporelle piétine son éternité méconnue.
Standardisé ou créature artificielle, virtuelle, infernale, l’humain transhumaniste se réduit à vouloir sauver sa peau. Mais celui qui veut sauver sa peau la perd !
Ignorant ses richesses subtiles, l’homme continue à refouler l’océan de vie à l’intérieur de lui, vomissant dans la mer les saints innocents. Le collectif inhabité par la conscience de son Principe de vie est hébété !
Mais voilà que le monde est rudement secoué comme jadis le peuple hébreu du Livre de l’Exode, prototype de l’humanité encore esclave de Pharaon. La mer changée en sang des réfugiés, l’envol des ailes de cire de l’intelligence artificielle, les épidémies, l’orgueil et leur
cortège de volonté de puissance et de gloire, la grêle de nos sexualités perverties, les dévorations du vivant, notre ténébreuse peur – sont les plaies consécutives de toutes nos
transgressions. Nous avons manqué aux lois ontologiques qui structurent pourtant le créé et dont l’Homme est le couronnement.
Il m’arrive de comparer les épreuves actuelles aux contractions de la femme en travail, annonçant la mise au monde d’un Homme Nouveau.
Tel l’enfant qui se retourne dans le ventre de sa mère, le grand fœtus adamique est aujourd’hui retourné dans la matrice de l’humanité.
Comme si une immense mutation se préparait. Le monde la pressent et la redoute.
Les hostilités se renforcent, faute d’écoute de nos énergies inconscientes refoulées, ce
qui provoque, entre autre, l’inquiétant écocide planétaire. Cette tragédie, dont nous ne
conscientisons pas encore l’information de ce qui nous consume, nous pousse dans nos retranchements. La pioche du temps extrait un mystérieux minerai du fond de notre mine d’ombres. Nous oeuvrons de concert avec le grand Alchimiste. Aux confins des ténèbres se dévoile le diamant de la Vie éternelle.
Celui qui meurt à lui-même délivre son âme captive et danse la vie. Ainsi les hommes libérés se reconnaissent et se retrouvent, ce qui atteste du passage de la compétition mortifère à la voie du cœur coopérant. Du grand détournement au grand retournement, les armes de distractions massives cèdent leur place de façon irréversible à une aventure de conscience qui
nous désidentifie des croyances, des certitudes, des servitudes, des peurs, des images taillées.
C’est le passage de la personne sociale et politique à l’être sensible et mystique. Du dehors au dedans, c’est un voyage à la douceur frontalière.
Ce grand retournement je l’ai vécu pendant ma greffe cœur-poumons. Durant 40 jours de coma j’ai eu une expérience de mort imminente (E.M.I). Depuis, la mort est morte et
j’évolue de mutation en mutation. C’est une renaissance qui ne souffre plus de mort car, que je vive ou que je meure, je suis Vivante. La vie incommensurable m’a permis de voir que
derrière le pire, l’Amour est plus fort que la mort. Il est ce qui reste quand il n’y a plus rien.

Cet Amour-là croît en mon éphémère tissu biologique, rallongé grâce à une inestimable prouesse chirurgicale et la prise journalière de médicaments.
Aux antipodes de l’aventure de la greffe révélant les sommets de l’humanité,
aujourd’hui la science guidée par l’argent prend un virage technico-terrifiant. La vie m’arrache une nouvelle fois le coeur et je fais corps à l’indestructible Amour. C’est une mise à feu de ma réalité divine. Intérieurement, toutes les armées de la déréliction se transfigurent
en un symbole d’Unité.
Cette situation d’apparent exil que nous traversons, alors qu’elle est peut-être sortie d’exil, fait se redresser l’Homme qui, aimanté par le ciel, se verticalise. Quittant la maison des savoirs institués pour aller vers lui-même, l’Homme brise les tables des lois de ce monde pour
retrouver les lois ontologiques. Les lois extérieures deviennent caduques lorsque nous nous ouvrons à cette liberté extraordinaire. Accepter de ne plus rien comprendre permet de
rencontrer l’Inconnaissable. Cette Rencontre se fait dans le désert où toute référence à ce qui était n’est plus.
Ainsi, les cieux, jamais deux fois les mêmes, métamorphosent le connu en une conscience totalement neuve. Nous ne sommes qu’au tout début de cette gigantesque mutation d’éblouissement de vie. Elle commence dans ce monde infiniment loin de s’y réduire.
Les voiles de l’oubli traversés, nous avons investi notre nature divine et pouvons entrer dans une formidable insufflation qui propulse dans une ère nouvelle. Comme la chenille qui prend conscience de son rêve d’Amour et se soustrait aux rumeurs terrestres. Ce
n’est pas la mort, c’est la mutation. C’est une autre façon d’être, où les lois du papillon ne sont plus celles des rampants.
Notre cœur de pierre mute amoureusement en un rayon de lumière qui traverse sans bris le mur du temps. Le cœur est le secret des cieux car, impérissable et vulnérable à la fois,
il est la porte de notre éternité. L’éternité est la disparition brutale du temps, un état où rien ne dure, où tout se renouvelle sans fin. S’apercevoir qu’il n’y a plus de distance entre « soi » et
son principe créateur nous embrase en l’ultime Intime de l’intime qui nourrit, purifie et transforme.
L’humain meurt et renaît en un Homme aimant, réellement présent à la Présence. Car l’Homme est promis à une haute naissance et quiconque donnera sa vie la vivra.
C’est l’expérience de l’ennoblissement de l’âme. L’Homme se lève dans la Beauté, il intègre toutes les douleurs du monde et unit le devenir Homme au devenir Divin dans une œuvre de
transfiguration.
À ce point là, l’Éternel « s’encharnelle » et la chair « s’encielle ». C’est le rendez-vous de l’Invisible que l’on est, dans le moule visible que l’on a, sans discontinuité entre l’Esprit et la Matière.
À la croisée de deux désirs, celui de Dieu pour l’Homme et de l’Homme pour Dieu, notre cœur est capable de tout accueillir afin que se réalise l’Union.
Créer, c’est aimer, épouser…
La résurrection est la nouvelle création.
Personne ne peut tuer cette création.
Allons où nul n’est allé…

magazine Reflets 2022